Dans une longue interview au JDD du 2 septembre 2012, François
Chérèque fait le point sur les dossiers de la rentrée, au premier rang
desquels le chômage, et appelle le gouvernement à "aller plus loin" et
les partenaires sociaux à signer "au plus vite" une réforme sociale pour
sauver l’emploi.
La
barre des trois millions de chômeurs sera franchie bientôt. Le
gouvernement a débloqué des emplois aidés et lancé les contrats
d’avenir, est-ce suffisant selon vous ?
Le gouvernement
met en place des mesures utiles que nous soutenons mais je crains que
dans quelques mois cela ne s’avère insuffisant. Il faut aller plus
loin, renforcer les formations pour les chômeurs, et réactiver les
mesures de chômage partiel qui évitent aux salariés d’être exclus de
l’entreprise. Les Allemands le font très bien, ils ont aussi des
accords de sauvegarde de l’emploi, ils s’inscrivent dans une vision à
plus long terme de l’économie.
La hausse du chômage va continuer ?
Je
le crains malheureusement. Tant que le pacte de croissance européen
n’est pas mis en œuvre, l’activité sera faible. Il est plus que temps
d’être réalistes : la situation économique de notre pays est mauvaise
car la France n’est pas adaptée aux défis de la mondialisation. Une
partie du monde politique et syndical refuse de le voir. Il faut
travailler sur la mutation de notre économie, qui devra être
respectueuse de l’environnement. Nous avons une grande responsabilité
sur l’adaptation de notre modèle social.
Que proposez-vous ?
Il
est grand temps d’agir. Le gouvernement doit accélérer les réformes,
les partenaires sociaux aussi. Nous devons lancer la négociation sur le
marché du travail au plus vite, pour la conclure au plus tôt. Nous
n’avons pas besoin d’un an pour négocier sur les accords de sauvegarde
de l’emploi, qui permettent les mutations économiques et la protection
de l’emploi. Ce dossier est posé et connu de tous, la situation est
trop grave pour attendre.
Le
gouvernement a fixé l’échéance de la négociation au premier trimestre
2013, il doit vous remettre un document d’orientation dans dix jours…
Nous
ne pouvons pas nous contenter du calendrier du gouvernement. J’attends
de lire son document d’orientation mais je lui dis dès à présent :
vous ne pouvez pas à la fois nous remercier d’avoir signé un accord sur
l’emploi à Air France et considérer que la négociation sur ce sujet
peut patienter. Il y a urgence à réformer, car de plus en plus
d’équipes syndicales signent ce type d’accord dans les entreprises.
Mais elles le font sans cadre juridique, sans garde-fou. Ma
responsabilité est de les aider, d’obtenir des garanties pour ne plus
subir de chantage au licenciement. Il s’agit de sécuriser ce type de
négociation donnant-donnant. Et je dénonce les syndicalistes qui se
lavent les mains de ce qui se passe à la base et laissent leurs équipes
en discuter seules, sans les soutenir et en critiquant la philosophie
de ces accords.
Jean-Claude
Mailly (Force ouvrière) refuse de négocier si le gouvernement écrit le
mot "flexibilité" et Laurence Parisot (Medef) aussi, s’il ne l’écrit
pas…
C’est du niveau de la cour d’école. La gravité de la
crise commande que l’on dépasse ce type d’arguments. Notre objectif à
tous doit être de permettre aux salariés de s’en sortir. Sinon, les
Français pourront vraiment se demander à quoi nous servons.
Quelles sont les conditions de votre propre feu vert ?
Il
faut autoriser un diagnostic économique dans l’entreprise avant toute
négociation sur l’emploi, afin que les efforts des salariés soient
justifiés. En contrepartie, les employeurs doivent garantir le partage
des fruits de la croissance, en salaire ou en embauches, quand
l’activité reprend.
Vous discuterez aussi de la baisse du coût du travail ?
Pour
la compétitivité, nous devons agir sur plusieurs leviers, notamment la
recherche, l’innovation, la formation. Mais je le dis de façon claire :
le coût du travail est aussi un facteur de perte de compétitivité. Il
faut le baisser en transférant une partie des charges sur la CSG sans
toucher le pouvoir d’achat. Il n’est pas normal que le salaire finance,
seul ou presque, la protection sociale. Les revenus du capital et du
patrimoine doivent y contribuer, cela sera positif pour tout le monde.
Je demande au gouvernement d’accélérer la mise en place du Haut Conseil
pour le financement de la protection sociale.
Votre
homologue de la CGT, Bernard Thibault, appelle les salariés à
manifester le 9 octobre pour presser le gouvernement de "trancher" entre
le Medef et les salariés. Vous avez critiqué cette initiative…
Cette
date correspond à un rendez-vous donné par la nouvelle Fédération
européenne de l’industrie pour sensibiliser les salariés et les pouvoirs
publics. En appelant séparément à défiler, à des fins politiciennes
nationales et internes, la CGT détourne et affaiblit le sens que la
Fédération européenne de l’industrie a voulu donner à cette date. La
CFDT participera à cette journée, comme elle s’y est engagée avec les
instances européennes.
Déplorez-vous comme Jean-Luc Mélenchon que le gouvernement n’ait pas légiféré sur les plans sociaux cet été ?
Lors
de la conférence sociale, nous nous sommes engagés avec le
gouvernement à ouvrir cette négociation. Elle concerne l’anticipation
des difficultés économiques. Nous n’avons pas la même conception du
dialogue social que Mélenchon. Il veut faire sans les partenaires
sociaux, je ne peux pas être d’accord avec lui.
Arnaud Montebourg est-il efficace ou démuni face aux restructurations ?
Un
ministre qui montre du volontarisme, je ne vais pas m’en plaindre. Le
discours de Montebourg est devenu plus pragmatique, comme quoi les cent
jours ont servi à quelque chose !
Et si la négociation sociale échoue ?
Si
rien n’est fait, si les salariés ne voient pas de perspectives
d’avenir et de justice au-delà de la rigueur, les réactions seront
forcément négatives. Oui, il y a un risque d’explosions sociales
localisées dans les entreprises qui ferment ou dans certains quartiers
sensibles. Si nous ne sautons pas maintenant dans le train de la
transformation du modèle industriel vers le développement durable,
alors la France va s’appauvrir. C’est un pays endetté et une planète
souillée que nous transmettrons à nos enfants.
Propos recueillis par Nicolas Prissette