Du système de retraite au temps de travail, la liste est longue des critiques faites aux fonctionnaires. Témoignages et chiffres à l’appui, tour d’horizon des idées à déconstruire. Décryptage.
Idée reçue n°1 : Trop de fonctionnaires ?
La question a fait les choux gras des débats de la campagne présidentielle : le nombre de fonctionnaires est-il trop important en France ?
Un candidat n’hésitait pas à réclamer une coupe claire dans les effectifs, de l’ordre de 500 000 fonctionnaires. Un autre, le vainqueur, affichait dans son programme le chiffre de 120 000.
Mais de quoi parle-t-on ? Dans un rapport récent, France Stratégie pose la question en des termes légèrement différents. La France est-elle « suradministrée » ? Selon l’organisme d’expertise placée auprès du Premier ministre, il ne suffit pas de compter le nombre de fonctionnaires – 5,6 millions au 31 décembre 2015 selon l’Insee – pour vérifier si le pays souffre d’obésité administrative mais il convient de comparer son niveau de dépenses publiques à celui d’autres États connaissant le même niveau de développement.
La France comptait 88,5 emplois publics pour mille habitants en 2015 d’après les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de l’Office statistique de l’Union européenne Eurostat. Elle se situe dans une fourchette haute mais relativement proche de la moyenne observée dans les pays de l’OCDE (83 ‰).
À titre de comparaison, le Royaume-Uni compte 80 agents publics pour mille habitants, les États-Unis 68 ‰ mais les pays nordiques beaucoup plus (le Danemark autour de 140, la Norvège 159). Et cette photographie ne donne qu’une vision partielle de la situation. Lorsque l’on tient compte des dépenses de fonctionnement des États, qui comprennent donc l’achat de prestations privées et les transferts en nature pour remplir des missions de service public, les écarts se resserrent. Des pays qui semblaient sous-administrés, comme l’Allemagne, se rapprochent de la moyenne, voire la dépassent (exemple des Pays-Bas). Selon France Stratégie, « la France figure dans le groupe des pays européens qui ont arbitré en faveur de l’emploi direct au détriment de l’externalisation, à la différence du Royaume-Uni ». Pour quelle efficacité ? Voilà sans doute une question beaucoup plus pertinente.
Idée reçue n°2 : Un système de retraite trop confortable ?
Objet de tous les fantasmes, le régime des retraites des fonctionnaires ferait pâlir d’envie les salariés du privé qui ne manquent jamais une occasion d’opposer la différence de calcul des pensions entre les deux systèmes.
À première vue, l’inégalité est en effet criante. La pension des salariés au régime général est calculée sur la base des 25 meilleures années tandis que celle des agents l’est sur les six derniers mois. Alors que les différentes réformes des retraites ont presque gommé toutes différences en matière de durée de cotisation et d’âge de départ entre les deux régimes (à l’exception des catégories dites actives : policiers, égoutiers…), il ne reste plus aux détracteurs de la fonction publique que cette différence de calcul des pensions pour crier à l’injustice.
À première vue, l’inégalité est en effet criante. La pension des salariés au régime général est calculée sur la base des 25 meilleures années tandis que celle des agents l’est sur les six derniers mois. Alors que les différentes réformes des retraites ont presque gommé toutes différences en matière de durée de cotisation et d’âge de départ entre les deux régimes (à l’exception des catégories dites actives : policiers, égoutiers…), il ne reste plus aux détracteurs de la fonction publique que cette différence de calcul des pensions pour crier à l’injustice.
L’argument est un peu faible. En effet, le calcul de la pension des fonctionnaires ne prend que très partiellement en compte les primes, contrairement au régime général. Or, entre 2000 et 2010, la part moyenne des primes dans la rémunération globale est passée de 17% à 29% avec de très grandes différences selon les métiers. Très faibles chez les enseignants, les primes peuvent représenter 30% voire 40% de la rémunération des corps techniques et de l’encadrement.
Selon les différentes études du Conseil d’orientation des retraites, qui font référence en la matière, les pensions sont bien en moyenne plus élevées pour les anciens fonctionnaires que pour les anciens salariés du privé. Néanmoins, cette différence s’explique non pas par la méthode de calcul mais par la sociologie. Les fonctionnaires sont en moyenne plus qualifiés que les salariés du privé – le pourcentage de cadres est plus élevé – et ont reçu à ce titre des salaires plus élevés et donc, in fine, des pensions plus importantes.
Dernière précision : la règle des six derniers mois peut s’avérer avantageuse pour les fonctionnaires qui ont une carrière ascendante, mais elle n’est pas si payante pour un fonctionnaire qui a une carrière dite plate, c’est-à-dire une rémunération qui n’a que faiblement évolué, comme c’est le cas pour nombre d’agents.
Idée reçue n°3 : Toujours malades, les fonctionnaires ?
Les fonctionnaires seraient toujours absents. Si l’on regarde trop rapidement certaines statistiques, il serait tentant de souscrire à ce cliché coriace. Les études du ministère de la Fonction publique semblent l’indiquer d’elles-mêmes : « Environ un agent sur trois de la fonction publique [33% en moyenne] a eu au moins un arrêt maladie dans l’année, contre 28% des salariés du privé » peut-on lire dans « Faits et chiffres » (édition 2015 du rapport annuel sur l’état de la fonction publique)* issu de la grande enquête Conditions de travail 2013. Mais à y regarder de plus près, il est urgent de relativiser puisque le document précise que « les agents de la fonction publique s’arrêtent moins longtemps que les salariés du privé : 52% des agents de la fonction publique absents au moins une fois pour maladie se sont arrêtés moins de huit jours dans l’année contre 46% des salariés du secteur privé ».
Le jour de carence inefficace voire injuste
Autre procès fait aux agents publics, plus pernicieux, l’absence de jour de carence en cas d’arrêt maladie – jusqu’à son rétablissement depuis le 1er janvier 2018 – les inciterait à s’arrêter. Là encore, une étude de l’Insee de novembre 2017 vient démontrer que de 2012 à 2014, période durant laquelle un jour de carence avait été instauré, « la part des agents absents pour raison de santé n’apas [été] modifiée ». L’institut statistique va encore plus loin en assurant que « les absences pour raison de santé d’une semaine à trois mois ont augmenté avec le jour de carence »entre 2012 et 2014. Donc en plus d’être inefficace, vu qu’il ne diminue pas le nombre d’arrêts maladie d’agents et aurait même tendance à les rallonger, le rétablissement du jour de carence est, comme l’explique la CFDT-Fonctions publiques, « injuste car pour une majorité de salariés du secteur privé, les employeurs compensent la perte financière due aux jours de carence ».
Idée reçue n°4 :Temps de travail : remettre les pendules à l’heure
Qui n’a jamais entendu de fines allusions au temps de travail des agents ? Le rapport Laurent (sur le temps de travail dans la fonction publique), remis en mai 2016, montre certes une différence de 100 heures par an en moins pour les agents publics par rapport au privé, mais il insiste sur la responsabilité de l’employeur : les dérogations aux 1607 heures légales ou « la journée du maire » ont le plus souvent été accordées en échange de modérations salariales ou de travail le week-end. Des contraintes spécifiques pèsent en outre sur certains agents, les astreintes par exemple.
Denis est agent de maîtrise, il travaille au conseil départemental de Saône-et-Loire. Son métier est de veiller au bon état d’un réseau routier dans un rayon de 30 km autour d’Autun. En cas d’accident, d’intempéries, de chute d’arbre, etc., il fait intervenir les personnels compétents. Pendant la période hivernale, il prend souvent son véhicule à 4h30 afin de coordonner le travail des déneigeuses.
Une fois par mois, il devient « patrouilleur » pendant une semaine, il est alors d’astreinte 24 heures sur 24 et peut cumuler jusqu’à 20 heures supplémentaires, au-delà des 35 heures hebdomadaires. « Cette nuit, j’ai été appelé à 3 heures à cause d’un accident de la route. Les pompiers, le Samu et les forces de l’ordre sont intervenus, il a fallu aménager la circulation. » Après une intervention de nuit, Denis enchaîne avec sa journée de travail habituelle.
Idée reçue n°5 : Les profs, toujours en vacances ?
Si les agents des collectivités locales sont souvent brocardés, les enseignants le sont encore plus. Cela a le don d’exaspérer Claire Bonhomme [photo ci-contre], professeure d’histoire-géographie depuis douze ans au lycée Jean-Baptiste Corot, dans l’Essonne. En tant qu’agrégée, elle doit assurer quinze heures de cours en classe, le service étant porté à dix-huit heures pour les enseignants titulaires du Capes. « Notre temps de travail ne se limite pas au temps passé en classe. Durant toute une année, j’ai noté mes heures sur un carnet, je suis arrivée à une moyenne de 43 heures par semaine, en comptant cinq semaines de vacances comme dans le privé.
La préparation des cours prend beaucoup de temps, nous les renouvelons lorsque nous changeons de niveau de classe, d’établissement, nous nous adaptons aux nouveaux programmes ou aux méthodes recommandées. La partie évaluation est incompressible, on ne peut pas corriger plus de six copies par heure pour un bac blanc par exemple, ce ne serait pas sérieux. Préparer et encadrer un voyage scolaire ou une sortie éducative sont aussi des activités chronophages. Sans parler de tous les à-côtés : échanger en salle des profs sur sa pratique pédagogique ; évoquer le cas d’un élève avec le proviseur ou le conseiller d’éducation ; donner des pistes aux élèves sur leur orientation ; monter un projet avec la documentation ; recevoir les parents… »
Idée reçue n°6 : Les fonctionnaires trop payés ?
La question est sensible à l’heure où le gouvernement recherche des économies tous azimuts. Tout d’abord, de quoi parle-t-on ? Les fonctionnaires sont-ils trop payés par rapport au secteur privé ou trop payés par rapport à leurs camarades des autres pays européens ? Le cas des enseignants est révélateur. Si leur rémunération se situe dans la moyenne française, ils font partie des plus mal payés en Europe, selon une étude de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). À pouvoir d’achat égal, seules la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, l’Estonie, la Slovaquie et la Grèce proposent une rémunération moindre.
Une queue de peloton particulièrement surprenante et incompréhensible.
Cet exemple montre la difficulté de « juger » le bon niveau de rémunération. Tout juste peut-on rappeler les statistiques globales en fonction des trois versants de la fonction publique. La rémunération mensuelle nette moyenne est de 2 660 euros dans la fonction publique d’État, de 1990 euros à la territoriale et de 2 320 euros à l’hospitalière. En comparaison, le salaire net moyen des salariés du privé tourne autour de 2 200 euros.
Seule certitude, le système de rémunération des fonctionnaires, évidemment plus encadré que dans le privé, a permis de limiter les écarts de salaires entre les agents contrairement aux dérives observées dans les entreprises privées.
Idée reçue n°7 : La précarité dans la fonction publique, ça n’existe pas
« Vacataire : Personne chargée d’une fonction précise pour une période limitée. » La définition sur le portail de la fonction publique est très claire. Les vacataires n’ont pas vocation à occuper des postes permanents.
Ils ne sont là que pour répondre à un besoin précis, isolé et identifiable.
Et pourtant. Dans les trois versants de la fonction publique et dans de nombreuses métropoles, des bataillons de personnes sans statut clairement défini – ni fonctionnaire ni agent contractuel de droit public – complètent durablement des effectifs en tension. Leur caractéristique ? Une précarité à laquelle les patrons les plus libéraux n’osent même pas rêver ! « Pendant deux ans, j’ai vécu avec le téléphone à portée de main au cas où on m’appellerait pour travailler », témoigne Anaïs [photo]. Entre 2013 et 2015, cette jeune femme de 29 ans a cumulé les petites missions dans les Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) pour la Ville de Rennes. À la lingerie, en restauration, à l’entretien… « J’étais polyvalente », et très disponible. « Il m’arrivait de travailler six jours d’affilée puis d’enchaîner avec une seule journée la semaine suivante, se souvient-elle. Parfois, un besoin se manifestait le matin même dans une des maisons de retraite. » Après chaque appel, elle signait une lettre d’engagement en guise de contrat, avec très peu de garanties et des droits limités.
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