Ce sont eux qui nous protègent, nous soignent, éduquent nos enfants. Les agents publics sont une richesse, et la réforme annoncée ne doit se faire ni contre eux ni sans eux.
La vraie vie des fonctionnaires
Accuser les fonctionnaires de tous les maux semble être un sport national. Il est temps de corriger des visions erronées et de rendre justice à ces professionnels motivés, animés par le sens du service public.
Les fonctionnaires sont trop nombreux, ils coûtent cher, ne servent pas à grand-chose et bénéficient d’un statut qui leur assure un emploi à vie… C’est ce que les principaux intéressés ont pu lire entre les lignes des mesures annoncées le 1er février par Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics. Un plan de départs volontaires, la rémunération au mérite, un recours accru aux contractuels, des instances de représentation du personnel fusionnées permettraient de parer la fonction publique de toutes les vertus supposées du privé : productivité, agilité, flexibilité. Il y a là de quoi creuser un peu plus l’abîme d’incompréhension qui semble grandir entre l’employeur public et les agents, alors que la colère monte dans les hôpitaux, les Ehpad ou les prisons. « Nous n’avons pas le sentiment d’être soutenus par notre employeur, l’État, quand ses représentants véhiculent une image aussi péjorative des fonctionnaires », commentait Alain Rei, directeur d’école, lors d’un échange organisé autour de la présentation du livre L’Autre Trésor public [lire p. 21], un ouvrage collectif coédité par la CFDT-Fonctions publiques. « Le discours punitif à l’égard des fonctionnaires vise à plaire à l’opinion publique, regrette Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale CFDT responsable de la fonction publique. Il est paradoxal de tenir des propos aussi démotivants quand on gère les ressources humaines d’un pays, aucun manager d’entreprise privée n’aurait cette attitude. »
Les mesures annoncées, outre qu’elles abordent la réforme de l’action publique sous le seul angle budgétaire sans poser au préalable la question des finalités, dénotent une vision fantasmée d’une fonction publique monolithique et poussiéreuse. La réalité est bien plus complexe. La fonction publique dans ses trois versants, hospitalière, État et territoriale, est un monde du travail à part entière avec ses 5,6 millions de travailleurs exerçant de multiples métiers. Loin de l’employé aux écritures de Courteline, qui hante encore l’imaginaire collectif, l’agent public est aujourd’hui informaticien, ouvrier, cuisinier, contrôleur de gestion, chauffagiste, juriste, acheteur, ingénieur… le tout se déclinant largement au féminin, puisque la fonction publique compte 62 % de femmes.
Ces professionnels n’ont pas tous le statut de fonctionnaire. Plus de 20 % d’entre eux sont des contractuels, de droit public ou privé. Ils cumulent les CDD dans la limite de six ans au terme desquels ils peuvent se voir proposer un CDI, ou pas. La précarité existe bel et bien dans la fonction publique, dans la territoriale particulièrement, où elle touche un nombre élevé de femmes occupant des emplois peu qualifiés en CDD et à temps partiel subi. « Les contrats très courts se généralisent, les agents d’entretien dans les écoles, par exemple, sont embauchés pour trois mois sur des contrats qui prennent fin avant le début des vacances », constate Claire Le Calonnec, secrétaire générale de la Fédération CFDT-Interco.
Un statut assorti d’obligations
Quant au statut, que le gouvernement souhaite aujourd’hui « assouplir », il peut en effet sembler enviable, surtout dans un contexte de chômage persistant. Mais le statut général, révisé en 1983, est assorti d’obligations qui garantissent l’égalité d’accès aux services publics pour tous les citoyens. Les policiers et les enseignants souvent affectés loin de chez eux ou dans des régions peu attractives, où d’ailleurs les entreprises privées peinent à recruter, en savent quelque chose. Le fonctionnaire n’est pas titulaire de son emploi, mais de son grade, c’est-à-dire de sa place dans la hiérarchie. Il est à la merci d’une restructuration qui l’amènera à changer de service, d’établissement, voire de région.
Et c’est assez fréquent. Contrairement aux préjugés, la fonction publique n’est pas figée dans l’immobilisme. « Les services publics se réorganisent en permanence, les agents ont vécu la réforme de la carte judiciaire, la fusion des collectivités locales, des régions, des agences régionales de santé, les regroupements hospitaliers… chaque année, les effectifs s’adaptent aux fermetures et ouvertures d’écoles, et c’est bien l’existence du statut qui permet cette souplesse, plaide Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT-Fonctions publiques. La transition numérique, dont on parle beaucoup dans le secteur des banques, a été mise en œuvre sans bruit et avec succès par les services des finances publiques, la déclaration en ligne existe depuis vingt ans. Cela fait partie de la culture du service public de s’adapter aux besoins de la population et d’innover. »
Les agents se prêtent à ces transformations et font preuve d’un fort engagement professionnel malgré le peu de reconnaissance qu’ils reçoivent de leur employeur. Cela transparaît dans les résultats de l’enquête de la CFDT Parlons travail. Les agents publics sont 80 % à déclarer « aimer [leur] travail » (75 % dans le privé), mais 50 % à dire « aimer [leur] administration » contre 63 % de salariés du privé qui affirment « aimer [leur] entreprise ». Cela indique une crise de confiance que l’employeur public, en bon manager, ne devrait pas négliger.
©Soudan E/Alapca/Andia.fr
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