Médecin et romancier à la fois, Martin Winckler est devenu célèbre avec La Maladie de Sachs, récit de la vie quotidienne d’un jeune médecin de campagne. Aujourd’hui installé au Canada, il offre dans son dernier livre Les Brutes en blanc une critique féroce du système médical français. Entretien sans concessions.
Le sous-titre de votre dernier ouvrage, Les Brutes en blanc, est La maltraitance médicale en France. Quelles ont été les réactions du monde médical ?
Violentes de la part de quelques-uns, positives de la part de beaucoup. Deux jours après la sortie du livre, le Conseil national de l’Ordre des médecins a produit un communiqué disant que je caricaturais la profession et que 97 % des Français étaient heureux de leur médecin. Ce qui ne veut strictement rien dire, parlant d’un sondage réalisé par l’Ordre lui-même !
La maltraitance médicale, c’est un peu comme les violences au sein du couple, c’est difficile de dire « mon médecin me maltraite », parce que l’on en a honte – et on n'est pas cru ! Sur mon blog (www.martinwinckler.com), je reçois tous les jours des témoignages de femmes qui ont subi des examens gynécologiques violents, des refus d’avortement ou de mauvaises indications de
Parcours
1955 Naissance à Alger de Marc Zaffran (Martin Winckler).
1961 La famille Zaffran quitte l’Algérie et s’installe à Pithiviers (Loiret).
1982 Diplômé de la faculté de médecine de Tours, il devient médecin de campagne dans la Sarthe et collabore à la revue Prescrire.
1989 Parution de son premier roman, La Vacation(P.O.L, 208 pages).
À partir de 1993 Se consacre à la littérature tout en exerçant au Centre de planification et au centre d’IVG de l’hôpital du Mans.
1998 Publication de La Maladie de Sachs (éditions P.O.L, 480 pages), prix du Livre Inter, adapté au cinéma par Michel Deville, et qui sera suivi de nombreux romans, essais et ouvrages de vulgarisation médicale.
2009 Émigre à Montréal, où il écrit Le Chœur des Femmes (P.O.L). Enseigne aux étudiants en médecine, à l’Université McGill et à l’université d’Ottawa.
2016 Les Brutes en blanc (Flammarion, 368 pages).
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contraception, des remarques humiliantes sur leur poids ou des propos réprobateurs parce qu’elles choisissent de ne pas avoir d’enfant. En ce moment, toutes les violences subies par les femmes s’expriment : les violences dans le couple ou au travail. Que ce soient les brutalités conjugales, les maltraitances médicales ou le viol. Les réseaux sociaux libèrent la parole des femmes et provoquent un effet d’émulation, ce que je trouve très bien. Il faut que ça soit dit haut et fort.
Quand la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, a soulevé la question des violences obstétricales, notamment les épisiotomies, trop systématiques, les gynécologues ont contesté les chiffres évoqués…
La ministre a cité un chiffre issu d’une enquête réalisée par sa propre association. En réalité, en France, la moyenne des femmes qui subissent une épisiotomie quand elles accouchent est entre 25 et 30 %. Le Centre hospitalier de Besançon, par exemple, n’en pratique que dans 3 % des cas ; cela veut dire qu’ailleurs, on est largement au-dessus de la moyenne !
Fixer une norme de moins de 5 % d’épisiotomies, ce serait parfait, mais c’est impossible à imposer. Beaucoup de médecins font ce qu’ils veulent, ils pensent savoir mieux que vous ce qui est bon pour vous. En France, l’hôpital est un service public à l’intérieur duquel certains se comportent encore comme des marquis. Les patrons de CHU, qui ont été créés par la loi de 1958, dirigent tout à la fois l’enseignement, la recherche et le soin. Un chef de département a tout pouvoir.
Si un chef d’obstétrique est opposé à l’avortement ou à la ligature des trompes, cela ne se fera pas dans son service. Les droits des citoyens ne sont pas respectés quand un médecin considère ainsi qu’il est au-dessus des lois.
La médecine est-elle sexiste ?
Elle l’est comme la société. Pas moins. Mais en plus, l’enseignement de la médecine est centré sur l’homme, qui n’a qu’un seul événement physiologique dans sa vie, la puberté, et ne consulte qu’en cas d’accident ou de maladie.
Ces événements sont bien plus nombreux chez la femme : les règles, les fausses couches, la première grossesse menée à terme, l’accouchement, l’allaitement, le post-partum, la ménopause… Entre 13 et 53 ans, les femmes vivent pendant quarante ans des événements physiologiques majeurs. Et pourtant, alors qu’en France, il y a moins de diabétiques que de femmes qui souffrent de leurs règles, beaucoup de ces femmes ne sont pas soignées. Les médecins ne sont pas formés à traiter les choses de la vie. Ils sont démunis quand ils y sont confrontés, ou alors cela ne les intéresse pas.
Pourquoi ce désintérêt ?
L’enseignement de la médecine est focalisé sur les maladies graves ou les événements nobles : l’accouchement est noble, l’avortement ne l’est pas. Les médecins, et ça part d’un bon sentiment, veulent vous éviter d’être malade. Un médecin de famille qui voit un patient mourir d’une maladie rare et grave va la rechercher chez tous ses patients. Il ne veut pas que cela lui arrive de nouveau, il a peur de passer à côté. Il est victime d’un biais de perception et focalise sur ce risque en négligeant les souffrances bénignes, mais plus fréquentes, qui pourrissent la vie quotidienne. La santé d’une population dans un pays développé, ce n’est pas la recherche exclusive des maladies graves, c’est la prévention, informer les gens pour qu’ils ne tombent pas malades. En commençant par les écouter. C’est avant tout un rôle de soignant. Ils n’y sont pas formés.
Les étudiants en médecine sont-ils formés à prendre en compte la psychologie des patients ?
Dans certaines facultés, on le fait, mais c’est récent. Et, en France, chaque faculté décide du contenu de ses enseignements. Au Canada, elles ont des obligations de formation des médecins, identiques dans toutes les provinces, même si celles-ci sont indépendantes sur le plan des politiques de santé. Le monde médical anglo-saxon est soumis à une forte compétition, mais se caractérise aussi par le partage et la collégialité.
Et par la transdisciplinarité : dans les congrès, médecins, infirmières et psychologues se côtoient, cela permet de croiser les approches. En France, culturellement, cela ne se fait pas, c’est chacun chez soi.
C’est une question de hiérarchie sociale ?
La médecine française a un comportement de caste élitaire, qui méprise les autres professionnels de santé. Au CHU de Montréal, la délivrance des soins est organisée par les cadres infirmiers, et les médecins se plient à cette organisation car ils font partie d’un système au service des patients. Un chef de département est élu pour quatre ou cinq ans par ses pairs dans le cadre d’une commission collégiale.
Les jeunes générations de médecins français n’ont-elles pas envie de faire bouger les lignes ?
Beaucoup ont un désir de changement, mais d’autres, très nombreux, participent à un phénomène de reproduction sociale, qu’ils en soient conscients ou non. Ce que je critique, c’est la structure, le système, pas les individus. Si l’on n’introduit pas des réformes radicales dans l’enseignement, le mode de recrutement des médecins et la hiérarchie hospitalière, si l’on ne change pas la pyramide pour un système plus égalitaire, rien ne bougera. Le savoir, surtout le savoir en santé, concerne tout le monde et il doit être partagé. Il n’est pas la propriété des médecins.
Que pensez-vous de la défiance vis-à-vis de la vaccination, qui a redoublé d’intensité au moment de l’annonce des nouvelles obligations vaccinales ?
Tous les vaccins ne sont pas identiques. Autant il est justifié de vacciner contre la poliomyélite, qui est une maladie très contagieuse, ou la rougeole, autant pour certains vaccins, ça devrait être du cas par cas, selon le contexte et l’individu. Toutes les décisions publiques en matière de santé sont fondées sur la peur induite par les industriels. Prenons le cas de la grippe A-H1N1.
La décision de vacciner a été prise alors qu’on savait que cette grippe était bénigne, l’Organisation mondiale de la santé l’avait déclaré.
La décision de vacciner a été prise alors qu’on savait que cette grippe était bénigne, l’Organisation mondiale de la santé l’avait déclaré.
Le virus, qui avait déjà touché l’hémisphère Sud, avait fait moins de morts que lors des vagues de grippe antérieures. Mais l’industrie avait depuis très longtemps préparé les gouvernements à l’idée d’une pandémie et « prédit » des millions de morts si l’on ne vaccinait pas. En France, les patients n’ont pas suivi. Résultat : pas d’hécatombe, mais des millions d’euros en vaccins inutilisés.
Tout de même, se faire vacciner, c’est important pour se protéger soi, mais aussi les autres…
Oui, et c’est la responsabilité des pouvoirs publics. Au Royaume-Uni, il n’y a pas de vaccination obligatoire, et pourtant la couverture vaccinale est de 95 %. Pourquoi ? Parce que les gens sont informés sur chaque vaccin et on les encourage au lieu de les menacer. Il y a de la communication entre les médecins et les patients, les médecins anglais sont formés à être à l’écoute. En France, la médecine est hiérarchisée, autoritaire.
Le monde médical fonctionne comme une église. On endoctrine les étudiants afin qu’ils aient une fonction apostolique. On leur inculque « la bonne parole » qu’ils ont pour mission de diffuser par tous les moyens.
La notion de liberté individuelle et d’autonomie de la personne n’existe pas. Dans les pays anglo-saxons, votre vie vous appartient et le rôle du médecin est de vous soutenir quels que soient vos choix : suivre le traitement proposé ou non, avoir des enfants ou se faire stériliser, etc. C’est pour cette raison qu’en Angleterre, on a développé les soins palliatifs aux cancéreux en phase terminale depuis 1945 et qu’au Canada, l’assistance médicale à mourir a été légalisée. En France, nous sommes encore dans une idéologie de la vie à tout prix et de la douleur rédemptrice…
©Photos Joseph Melin
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