Voter aux élections professionnelles est par essence un acte personnel. Ce principe démocratique ne souffre d'aucune entorse, y compris lorsque le scrutin est organisé sous une forme électronique. C'est ainsi que, dans ce dernier cas, un salarié électeur ne peut être autorisé à récupérer les codes de vote d'un ou de plusieurs de ses collègues afin de pouvoir voter à leur place. Si de tels faits devaient être établis, les élections seraient forcément annulées. Cass.soc. 03.10.18, n°17-29.022.
- Le principe et sa mise en musique
Il s’agit bien d’une obligation incontournable : le vote aux élections professionnelles doit être personnellement exprimé. Ainsi retrouve-t-on, parmi les souplesses et les facilités que la loi et la jurisprudence reconnaissent au salarié électeur pour lui permettre d’exprimer son choix autrement que par le vote physique, le vote par correspondance et le vote électronique, mais pas le vote par procuration.
Comment le vote électronique peut-il être mis en place dans l’entreprise ? Les élections professionnelles sont normalement organisées par vote physique (éventuellement remplacé ou agrémenté d’un vote par correspondance). Elles peuvent également l’être par vote électronique « sur le lieu de travail ou à distance » à partir du moment où un accord d’entreprise (ou de groupe), ou à défaut, une décision unilatérale de l’employeur en a décidé ainsi[1]. Mais le Code du travail énonce également un nombre conséquent de règles qui visent à garantir la fiabilité du dispositif mis en place ainsi que le respect des principes généraux du droit électoral (libre choix des salariés, confidentialité du vote[2] …).
En aucun cas donc, un salarié électeur ne peut être autorisé à confier l’exercice de son droit de vote à une autre personne ! Bien sûr, le problème ne se pose guère s’agissant du vote à l’urne. Dans un tel cas de figure en effet, le salarié électeur est amené à se présenter en personne devant le bureau de vote. Dans ce cas, il lui est facile de vérifier que son expression électorale est bien personnelle.
Mais, les choses sont plus complexes s’agissant du vote exprimé par correspondance oupar le canal électronique. Pour un vote par correspondance, seule la signature portée par le salarié électeur au dos de l’enveloppe de réexpédition permettra de l’identifier, et donc de s’assurer du caractère personnel de son expression. La nécessité de ce paraphe est, de ce fait, vue comme une formalité substantielle[3] sur laquelle un protocole d’accord préélectoral (même unanime) ne saurait revenir[4].
Pour un vote électronique, c’est l’usage du code personnel d’accès à l’espace de vote qui le permettra. Dans ce derniers cas, les textes précisent en effet que, pour « se connecter (…) au système de vote », le salarié électeur « doit se faire connaître par le moyen d'authentification qui lui aura été transmis, selon des modalités garantissant sa confidentialité »[5]. Ce faisant, chaque salarié électeur est normalement à même d’effectuer son choix de manière aussi personnelle que confidentielle.
Mais que se passe-t-il s’il est établi qu’un salarié électeur a rétrocédé son droit de vote à un autre en lui communiquant son « moyen d’authentification » ? C’est précisément à cette question que la Cour de cassation est venue répondre le 3 octobre dernier.
- Les faits
En l’espèce, les élections de la délégation du personnel et des membres du comité d’entreprise avaient été organisées au sein de l’établissement de Villabe de la société Flunch avec recours au vote électronique. Or il était établi qu’une salariée, elle-même candidate à ces élections, avaient voté en lieu et place de deux autres salariées qui lui avaient préalablement confié leur « moyen d’authentification ». Après avoir constaté cette irrégularité, l’employeur avait sollicité en justice l’annulation du scrutin.
- Une tolérance des juges du fond balayée par la Cour de cassation
En soi, une telle façon de procéder était-elle suffisante pour justifier d’une telle annulation ? Non, pour le tribunal d’instance, qui relevait que les deux salariées ayant ainsi communiqué à un tiers leur « moyen d’authentification » avaient été parfaitement bien informées du caractère personnel et confidentiel du vote et qu’elles avaient, en conséquence, agi « en toute connaissance de cause ».
Partant d’un tel constat, le tribunal a estimé que la fraude n’était pas établie et que, de surcroît, « l’irrégularité relevée n’était pas de nature à fausser les résultats ».
La Cour de cassation vient contrecarrer l’argumentation retenue par les juges du fond et rappelle pour ce faire que « l’exercice personnel du droit de vote constitue un principe général du droit électoral auquel seul le législateur peut déroger ». Or le Code du travail n’a jamais entendu ouvrir la voie du vote par procuration pour l’élection des représentants du personnel, comme nous l’avons vu.
Partant de là, elle considère que le fait, pour un salarié électeur, en dehors de toute forme d’habilitation légale, de se substituer à un autre au cours d’une élection de délégués du personnel et/ou de comité d’entreprise doit être vue comme une irrégularité constitutive d’une atteinte à un principe général du droit électoral. Dès lors, il suffit qu’une telle irrégularité soit établie pour que l’élection soit frappée de nullité sans qu’il y ait lieu de vérifier si elle a (ou non) été de nature à en fausser les résultats. Le jugement rendu par les premiers juges est donc cassé et le dossier renvoyé devant un autre tribunal d’instance pour être rejugé.
L’arrêt ici commenté est d’autant plus intéressant qu’il est en tout point transposable aux élections des CSE…
[1] Pour la mise en place d’un CSE : art L.2314-26 al. 2 et R. 2314-5 al. 2 C.trav.
[2] Pour la mise en place d’un CSE : art R.2314-6 al. 2 C.trav.
[3] Cass.soc. 19.12.07, n° 07-60.021.
[4] Cass.soc. 09.02.00, n° 98-60.581.
[5] Art. 6 de l’arrêté du 25.04.07 pris en application du décret n° 2007-602 du 25.05.07 relatif aux conditions et aux modalités de vote par voie électronique pour l'élection des délégués du personnel et des représentants du personnel au comité d'entreprise et modifiant le Code du travail.
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