Dans une longue interview accordée au quotidien régional Sud Ouest,
François Chérèque a fait le point les premières annonces
gouvernementales en attendant la conférence sociale des 9 et 10 juillet.
Comment va la CFDT aujourd'hui ?
François
Chérèque. Cela fait six ans que le nombre d'adhérents progresse, et
nous avons dépassé les 860 000. Pour nous, c'est un record historique.
Contrairement à la CGT, vous n'avez pas donné de consigne de vote à la présidentielle. Cela a-t-il été bien perçu ?
Très
bien, et aujourd'hui nous nous en portons encore mieux. Nous avons
gardé toute notre autonomie de pensée et de décision face au
gouvernement qui vient d'être élu. Quand on sait les difficultés de
notre pays et les décisions difficiles qui risquent d'être prises dans
l'avenir, autant ne pas être jugés comme les soutiens du gouvernement.
Vous avez pourtant pris soin d'approuver publiquement ses premières décisions ?
Pour
le moment, cela va dans le bon sens. Sur la retraite à 60 ans pour les
carrières longues, c'est la reprise d'un principe qui avait été décidé
lors de la réforme Fillon de 2003 et que la CFDT avait été la seule à
défendre. Tout le monde s'en félicite aujourd'hui. Quand on a soutenu
une mesure de la droite, on ne va pas la critiquer quand c'est la gauche
qui change d'avis et la soutient.
Et les 80 000 emplois aidés ?
Dès
le premier entretien avec Jean-Marc Ayrault, je lui ai expliqué que la
précédente majorité avait quasiment utilisé l'enveloppe prévue pour
2012. En ajouter 80 000, c'est une bonne chose. Ce que l'on souhaite
pour la conférence sociale, c'est que l'on accorde des moyens
supplémentaires pour Pôle emploi, soit entre 4 000 et 5 000
recrutements, afin de pouvoir suivre correctement tous les chômeurs.
Le
gouvernement a décidé d'organiser la conférence sociale des 8 et 9
juillet en sept tables rondes. Vont-elles épuiser le sujet ?
Ces
tables rondes portent toutes sur des sujets utiles, mais il y en a
deux qui me semblent aussi importants et qui n'ont pourtant pas été
retenus : il s'agit de la grande pauvreté et de la réforme de notre
système de santé. Le Premier ministre a répondu que ces sujets seraient
traités de façon spécifique dans un deuxième temps. Je le regrette
parce que la pauvreté, c'est en définitive le problème de l'emploi, du
financement de la protection sociale, comme celui de la formation et
des salaires.
Qu'en ont dit les autres syndicats ?
J'ai
été le seul à le demander, mais quand 8 millions de personnes vivent
au-dessous du seuil de pauvreté, cela devrait être une revendication
unanime des syndicats.
Le gouvernement a fait des efforts de parité… Quelles sont vos revendications dans ce domaine ?
En
priorité, nous demandons l'application de la loi dans les entreprises.
Les contraintes qui leur sont imposées ne sont pas assez incitatives.
Nous demandons qu'on réfléchisse à une nouvelle utilisation des 30
milliards d'aides aux entreprises qui sont concentrées sur les bas
salaires.
Que pensez-vous du projet d'interdire les licenciements aux entreprises qui font des bénéfices ?
Une
loi dans ce sens est très difficile à mettre en œuvre et peut même se
retourner contre les salariés. Une entreprise peut faire des bénéfices
un jour et être à la veille de connaître des difficultés financières.
Au contraire, c'est quand les entreprises font des bénéfices qu'il faut
être très exigeant avec elles pour anticiper les difficultés
économiques.
Sur le Smic, vous allez aussi à contre-courant ?
Proposer
une augmentation de 20 % du Smic, comme le font d'autres organisations
syndicales, c'est faire croire aux salariés qu'ils pourraient obtenir
quelque chose d'impossible. Elles le savent très bien, et c'est donc
mentir aux salariés. En revanche, trop d'entre eux restent au smic toute
leur vie. La demande de ces salariés, c'est d'avoir un déroulement de
carrière tel que cette situation évolue. Dans ce domaine aussi, nous
voulons réorienter les aides vers les entreprises qui organisent des
déroulements de carrière, plutôt que de les concentrer sur les
entreprises qui laissent leurs salariés au smic. L'augmentation
automatique du smic serait de presque 2 %, le « coup de pouce » sera
donc entre 2 et 5 %, tout le monde le sait.
Sur la retraite, il est difficile de fixer l'âge à 60 ans pour tous avec un taux plein…
Si
vous le faites, vous défavorisez l'ouvrier qui a commencé à travailler
à 16 ans, qui aura cotisé 44 ans, et vous favorisez le cadre qui a
commencé à 25 ans et qui n'aura cotisé que 35 ans. En tant que
syndicaliste, je veux réduire cette inégalité. Sur ce sujet, je suis
prêt à me confronter à tout autre syndicaliste qui tient une position
différente. Notre position est la plus juste au sein de notre système
par répartition.
Vous aurez des échanges musclés au cours de cette conférence ?
C'est
un débat démocratique où tout le monde pourra exprimer ce qu'il
souhaite. Aujourd'hui, quand je vois des collègues syndicalistes
défendre les carrières longues, je me demande pourquoi ils ne l'ont pas
fait plus tôt, au lieu de nous critiquer. En 2003, nous étions en
désaccord avec la gauche, puisqu'elle nous a critiqués ; elle a donc
évolué. D'autres organisations syndicales l'ont fait aussi, c'est
normal.
Propos recueillis par J.-P. D
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