Bien qu’il ait fait ses preuves, l’apprentissage n’a jamais décollé en France. État des lieux d’un dispositif qui doit se réinventer pour répondre aux aspirations des jeunes et aux besoins des entreprises.
L’apprentissage cherche sa voie
Dispositif d’insertion professionnelle efficace mais sous-utilisé en France, l’apprentissage est en passe d’être réformé. Il est urgent de revaloriser son image, convaincre les employeurs d’y recourir et mieux accompagner les jeunes.
Faire ses premiers pas dans le monde du travail en étant formé et rémunéré, la formule a de quoi séduire. Avec son taux d’insertion proche de 70 %, l’apprentissage peut faire figure d’antidote au chômage des jeunes. Pourtant, il peine à prendre son envol. Emmanuel Macron s’attaque au dossier. D’autres s’y sont essayés avant lui : François Hollande avait parié sur 500 000 apprentis à la fin 2017 et, quelques années plus tôt, Nicolas Sarkozy avait annoncé le chiffre de 1 million.
[Dans la fonction publique aussi]
L’apprentissage a fait une percée dans la fonction publique depuis l’impulsion donnée lors de la conférence sociale de 2014.
En 2016, 13 148 nouveaux apprentis ont été recrutés dans les établissements d’enseignement et les collectivités locales, 23 % de plus qu’en 2015. C’est le cas de Laurane, 21 ans, qui, après un bac scientifique, puis un bac professionnel en photographie, s’inscrit en apprentissage en BTS Design graphique au Campus Fonderie de l’image à Bagnolet, en région parisienne. Elle commence sa formation en septembre et, malgré les conseils prodigués par son école et une utilisation active des réseaux sociaux professionnels, elle « galère » dans sa recherche d’entreprise. « Beaucoup de start-up recherchent des jeunes graphistes en multimédia, mais ils préfèrent prendre des stagiaires qu’ils payent 550 euros, explique-t-elle. J’ai passé douze entretiens, ils me trouvaient trop chère et trop âgée par rapport à d’autres candidats. » Jamais elle n’aurait imaginé se tourner vers la fonction publique. C’est pourtant à la mairie de Boulogne qu’elle trouve son bonheur. Recrutée au service communication, elle perçoit le Smic, voit ses études assurées jusqu’à l’obtention de son BTS et apprend tous les jours de nouveaux aspects de son métier. « Ma maîtresse d’apprentissage est attentive et m’aide à mieux aborder mes missions. J’alterne deux jours à la mairie et trois à l’école, ou l’inverse. C’est fatigant, mais j’ai le sentiment de me réaliser et d’avoir démarré ma vie professionnelle. » Laurane réfléchit déjà à la suite. Elle aimerait se spécialiser dans le motion design, technique d’animation sur le web très recherchée dans les milieux de la publicité et de la communication. Dans le cadre, pourquoi pas, d’un nouveau contrat en alternance.
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Néanmoins, malgré les divers plans de relance, le nombre d’apprentis en France ne dépassait pas 412 300 jeunes en 2016, soit 7% de la population des 16-25 ans, quand l’Allemagne en comptait 1,4 million. Et si l’apprentissage ne chute pas davantage encore, c’est grâce à sa forte progression dans l’enseignement supérieur, en BTS, licence et master (lire l’interview de Gilles Roussel en bas de page).
En revanche, les formations de niveau bac professionnel, certificat d’aptitude professionnelle (CAP) ou brevet d’enseignement professionnel (BEP) ne décollent pas. Depuis 2008, le nombre d’entrées en apprentissage des élèves du secondaire a même diminué de 24% selon le ministère du Travail (Dares). Et pourtant, ces jeunes moins formés, donc plus fragiles sur le marché de l’emploi, sont ceux qui pourraient en retirer le plus grand bénéfice.
Les employeurs freinent l’embauche
De nombreuses mesures ont déjà été tentées, aides financières aux entreprises et assouplissement de la réglementation sur le travail des mineurs, sans résultat probant. Pire, les professionnels de l’artisanat, principaux pourvoyeurs de postes en apprentissage, voient dans l’empilement des mesures une complexité supplémentaire. Et ce n’est pas le seul motif de réticence de leur part. Recruter un jeune de 15 ou 16 ans et le former est une responsabilité que tous n’ont pas envie d’assumer. « De nombreux employeurs estiment que les jeunes qui sortent de 3e manquent de maturité et d’autonomie, explique Philippe Pichon, directeur du Centre de formation des apprentis (CFA) du bâtiment, dans le Morbihan. Ils hésitent à s’engager sur un an et jusqu’à trois ans pour un bac pro. »
Développer le préapprentissage – une sorte de sas qui permet aux jeunes de gagner en maturité est une piste souvent proposée. Aujourd’hui, les élèves de 15 ans, à l’issue de la 4e ou de la 3e, peuvent intégrer une classe Dima (dispositif d’initiation aux métiers en alternance) située dans les CFA. Néanmoins, « si les modalités pédagogiques ne sont pas assez personnalisées, il y a risque de décrochage », alerte Vincent Bernaud, qui suit le dossier au syndicat de l’Éducation nationale Sgen-CFDT.
Embaucher un apprenti était un réflexe naturel dans les secteurs de l’artisanat comme dans les métiers de bouche, de la construction ou de l’agriculture. Ce n’est plus toujours le cas. « Certains employeurs ont la fibre, d’autres moins, explique Max Delpérié, directeur du lycée agricole de Limoges. Dans notre secteur d’activité, l’apprentissage peut être une façon de former un jeune en tissant un lien de confiance, dans une perspective éventuelle de transmission. » Dans le BTP aussi, le recours à l’apprentissage bat de l’aile. « Nous sommes le deuxième secteur après l’hôtellerie-restauration à former des jeunes en apprentissage,précise Yves Lebourgeois, administrateur CFDT d’un CFA en BTP dans le Calvados. Nous constatons cependant une sous-utilisation du dispositif. L’usage que les entreprises en font est trop souvent guidé par des intérêts de court terme pour faire face à un regain d’activité. Elles devraient, au contraire, recruter régulièrement des apprentis et renouveler le vivier afin d’être plus compétitives. Les grandes entreprises des travaux publics n’en prennent quasiment pas, ou alors des jeunes de niveau postbac. Quant aux petits entrepreneurs de la construction, eux-mêmes de moins en moins souvent formés par l’apprentissage, ils ne connaissent pas ce dispositif. » Une méconnaissance partagée.
La mauvaise réputation
Les jeunes et les familles ignorent souvent tout de l’apprentissage, ou bien en ont une image désastreuse. Souvenons-nous de la bourde du PDG de Veolia, qui, interviewé cet été sur Europe 1 à ce sujet, avait bredouillé que « le problème ne s’était pas posé » pour ses enfants, qui « étaient brillants à l’école ». L’Éducation nationale regarde encore un peu de haut cette filière. Le logiciel Affelnet, sur lequel les élèves enregistrent leurs vœux d’affectation à la fin du collège, n’intègre pas les offres de formation en apprentissage. « Si les familles ne font pas l’effort de rechercher l’information, c’est très compliqué d’obtenir une place pour la rentrée suivante, sachant que les inscriptions se font dès le mois de mars », souligne Philippe Pichon.
La mise en relation entre les jeunes, les entreprises et centres de formation est l’un des leviers du développement. « Nous sommes présents sur les salons d’orientation, nous organisons des journées portes ouvertes au CFA, nous aidons les jeunes à trouver une entreprise d’accueil, nous sommes même sur Facebook », énumère Yves Lebourgeois, du CFA BTP normand. Dans les centres de formation, des « développeurs de l’apprentissage » ont pour mission de démarcher les entreprises afin de les informer sur le dispositif et les aides et les convaincre d’embaucher un jeune apprenti. Mais une fois le contrat signé, tout n’est pas joué. Une période d’essai de trois mois permet au maître d’apprentissage de veiller à la bonne intégration du jeune dans l’entreprise et à la cohérence entre l’enseignement dispensé en CFA et la formation en entreprise. Une responsabilité qui mériterait d’être mieux reconnue. « Un bon maître d’apprentissage peut vraiment concourir à l’émergence d’un jeune qui gagnera en confiance au fil des mois », affirme Max Delpérié du lycée agricole de Limoges.
PARMI LES CAUSES D’ÉCHEC, CERTAINES SONT SIMPLEMENT D’ORDRE MATÉRIEL : LA DISTANCE ENTRE LE DOMICILE, LE CENTRE DE FORMATION ET L’ENTREPRISE.
Des embûches peuvent toutefois se présenter en cours de route. Le taux de rupture anticipée s’élève à plus de 37% des apprentis de moins de 18 ans, 18% pour les plus de 21 ans (selon la Dares). Certains retrouvent rapidement une entreprise et passent quand même leur diplôme, d’autres abandonnent définitivement l’apprentissage. Parmi les causes d’échec, certaines sont simplement d’ordre matériel : la distance entre le domicile, le centre de formation et l’entreprise.
« Quand le jeune vit à 50 kilomètres du CFA ou de l’entreprise, la question du transport et du double logement se pose, des aides seraient nécessaires », relève Philippe Pichon. D’autres causes sont liées à des pratiques abusives. C’est malheureusement encore vrai dans le secteur de l’hôtellerie-restauration. « Si nous voyons des gamins fatigués, qui s’endorment en cours le lundi matin, nous savons qu’ils ont dû faire des heures supplémentaires à rallonge ou un service le dimanche. Dans ce cas, nous intervenons auprès de l’employeur », explique Ladja Chopineaux, proviseure au lycée hôtelier et CFA Belliard, établissement du 18e arrondissement de Paris spécialisé dans les métiers de l’hôtellerie-restauration. Accompagner les jeunes face à leurs difficultés et être au plus près de leurs besoins est le meilleur gage de réussite. C’est d’ailleurs l’une des revendications portées par la CFDT.
©Photo Joseph Melin
Gilles Roussel
“N’opposons pas l’apprentissage dans le supérieur à l’apprentissage infrabac”
Informaticien, il préside l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée. En décembre 2016, il est devenu président de la Conférence des présidents d’université.
Comment expliquer le développement très rapide de l’apprentissage à l’université ?
Si l’apprentissage rencontre un vif succès à l’université, c’est que nous avons su proposer des formations répondant aux besoins des entreprises et des administrations. Dans l’université que je préside, 25 % des étudiants sont en apprentissage et nous couvrons tous les secteurs de l’économie. Nous avons ouvert des formations dans des domaines aussi variés que l’économie sociale et solidaire, le développement culturel territorial ou l’internet des objets. L’apprentissage n’est plus la chasse gardée de quelques domaines industriels ou techniques. Du côté des étudiants, la demande est tout aussi forte. Ils ont bien conscience que cette pédagogie en alternance favorisera leur insertion professionnelle, et le salaire qu’ils perçoivent leur facilite grandement la vie au quotidien.
Peut-on parler d’une révolution pour les universités ?
L’insertion professionnelle des étudiants est une mission complètement assumée par l’université même si, officiellement, elle ne date que d’une dizaine d’années. Le développement de l’apprentissage est l’un des outils à notre disposition. Les universités s’en sont emparées avec plus ou moins d’enthousiasme, selon leur histoire et leur culture, mais je pense qu’il y a aujourd’hui un consensus autour de cette pédagogie par alternance.
Pensez-vous qu’il y ait encore un potentiel de croissance ?
Tout dépend des universités. Certaines commencent à peine à s’y mettre quand d’autres ont déjà acquis une véritable expérience. À Marne-la-Vallée, nous avons été précurseurs. Aujourd’hui, nous avons atteint un bon équilibre entre les différents modes de formation. Notre objectif n’est donc pas d’augmenter encore le nombre d’étudiants en apprentissage mais plutôt de renforcer les liens entre les étudiants, quel que soit leur statut. Nous avons des formations où les étudiants sont mélangés. Et nous nous sommes rendu compte que cela apportait une valeur ajoutée. Les enseignants sont davantage sensibilisés à la réalité des besoins des entreprises et enrichissent leur enseignement, tandis que la diversité des parcours des étudiants crée une émulation.
Qu’attendez-vous de la réforme de l’apprentissage annoncée par le gouvernement ?
J’attends du gouvernement qu’il n’oppose pas l’apprentissage dans le supérieur à l’apprentissage infrabac. J’estime qu’il faut au contraire s’appuyer sur l’engouement et l’excellente image de l’apprentissage dans le supérieur pour lever les blocages installés dans les plus bas niveaux de qualification.
Le modèle mixte que nous avons mis en place à l’université, qui associe des étudiants en formation initiale classique et des étudiants en apprentissage, pourrait par ailleurs être une source d’inspiration.
©Photo CPU
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jcitron@cfdt.fr |
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