Fiers de travailler « pour de vrai », les apprentis alternent formation théorique et pratique, ce qui nécessite persévérance et maturité. Reportage à la SEPR de Lyon, l’un des plus gros centres de formation de France, qui accueille près de 2200 apprentis.
Assise à sa table de travail, Laurette a le geste sûr et le regard concentré derrière ses lunettes. À 21 ans, cette jeune femme au caractère bien trempé suit sa deuxième et dernière année d’apprentissage en bijouterie, à Lyon. Dans quelques mois, elle espère bien obtenir un BMA (brevet des métiers d’art), soit l’équivalent d’un bac dans le monde de la joaillerie. Son aventure professionnelle devrait se poursuivre dans l’entreprise qui a promis de l’embaucher à la fin de sa formation. L’aboutissement d’un beau parcours qui n’a pas toujours été de tout repos. « Dès le collège, je savais que je voulais devenir bijoutière, explique-t-elle. J’ai quand même passé un bac littéraire mais, très vite, je me suis réorientée. »
Être mûr pour l’apprentissage
Pour arriver à ses fins, Laurette n’a ménagé ni sa peine ni les kilomètres. Originaire de Troyes, dans l’Aude, elle a passé son CAP (certificat d’aptitude professionnelle) au lycée de Saint-Amand-Montrond, dans le Cher. Et ce n’est qu’une fois ce premier diplôme en poche qu’elle parvient à convaincre une entreprise parisienne de l’embaucher en contrat d’apprentissage. Aujourd’hui, elle partage sa vie entre Lyon, où se trouve le centre de formation, et la capitale. Toutes les deux semaines, une nouvelle vie commence. « Heureusement que mes parents m’aident financièrement car sinon je ne pourrais pas assumer le coût des transports et du logement. »
À la table de travail voisine, Maxime, 20 ans, est mieux loti question géographie. Originaire de Clermont-Ferrand, lui aussi est passé par Saint-Amand-Montrond, mais il a trouvé une entreprise à Lyon. « Elle voulait m’embaucher après le stage que j’avais fait chez elle, mais je voulais poursuivre ma formation. On est donc tombés d’accord sur un contrat d’apprentissage », résume-t-il.
Comme Laurette et Maxime, tous les apprentis rencontrés à la SEPR plébiscitent l’apprentissage. Ils parlent de leur fierté de travailler « pour de vrai », d’avoir des clients à satisfaire, du plaisir d’être dans la vie active, de toucher un premier salaire… Mais la plupart racontent aussi le parcours semé d’obstacles pour trouver une entreprise qui accepte de les accueillir. « J’ai demandé à toutes les entreprises de ma région, sans succès, explique Benoît, ébéniste en herbe, originaire d’un petit village près de Valence. Finalement, la SEPR m’a donné une liste d’employeurs avec qui elle travaillait régulièrement. J’ai alors rencontré Christian Bertuletti à son atelier (lire en bas de page) et j’ai décidé de déménager à Lyon. » À 19 ans, il perçoit un revenu mais ses parents l’aident toujours financièrement, notamment pour les trajets qui le ramènent tous les week-ends chez lui, où il compte bien se réinstaller le plus rapidement possible.
« LES EMPLOYEURS SONT PLUS RÉTICENTS À PRENDRE UN JEUNE QUI PRÉPARE UN CAP QU’UNE PERSONNE QUI MAÎTRISE DÉJÀ LES SAVOIRS DE BASE ET LES PREMIERS GESTES PROFESSIONNELS. »
Pour la plupart de ces jeunes, l’apprentissage s’est finalement concrétisé après une première formation dans un lycée professionnel ou à l’issue d’études généralistes. « Les employeurs sont plus réticents à prendre un jeune qui prépare un CAP qu’une personne qui maîtrise déjà les savoirs de base et les premiers gestes professionnels », explique la directrice générale de la SEPR de Lyon, Véronique Furlan. C’est toute la difficulté que rencontre l’apprentissage aujourd’hui.
Ce mode de formation en alternance attire les jeunes, mais tous n’ont pas la maturité nécessaire permettant de s’adapter aux contraintes et à la vie des entreprises. Tous n’ont pas non plus conscience de la réalité du métier dans lequel ils s’engagent. Les entreprises, en retour, n’ont pas forcément l’envie ou le temps de s’occuper de jeunes encore peu autonomes, et les chiffres montrent que le système s’essouffle.
“C’est une formation exigeante, pas une voie dérogatoire”
« Pour donner une nouvelle dynamique à la formation professionnelle, il est nécessaire de repenser l’ensemble des dispositifs, assure sans langue de bois la directrice de la SEPR. Il faut mieux articuler les passages entre le monde de l’entreprise et celui de la formation. Aujourd’hui encore, l’apprentissage est considéré comme une voie à part, dérogatoire, uniquement destinée aux jeunes en difficulté, alors que c’est une formation exigeante. Je pense que l’on devrait inverser la logique, en faisant en sorte que toutes les formations prévoient des périodes d’apprentissage et des périodes classiques, en fonction du savoir-être et du savoir-faire des jeunes, ainsi que des attentes des entreprises. Ce n’est pas original que de le dire, mais notre système est encore trop organisé en tuyaux d’orgue. Il manque de souplesse. »
Selon Ophélie, apprentie ébéniste après une première expérience peu concluante en fac de sport, il faudrait également tenir davantage compte de l’envie des jeunes plutôt que de leurs résultats scolaires. Trop d’apprentis se sentiraient, selon elle, dévalorisés alors qu’ils montrent au cours de leur formation de vraies capacités. « Je me sens bien car j’ai fait des études avant et je me rends donc mieux compte de l’encadrement que nous avons ici et de l’attention que me porte mon tuteur dans l’entreprise, souligne-t-elle. Mais pour beaucoup de jeunes, leur formation reste un choix par défaut. Ils ont besoin d’être valorisés, de prendre conscience de leurs talents. »
Les apprenties du BTS Design de mode en sont l’illustration parfaite. Trois d’entre elles se remémorent leurs premiers pas dans cette filière professionnelle : « Je n’aimais pas l’école, alors je me suis orientée dans la mode en croyant que j’allais dessiner des vêtements toute la journée. Au lieu de ça, je me suis retrouvée derrière une machine à coudre », commence la première. Et la deuxième de poursuivre : « Finalement, ça m’a plu, et un professeur du lycée m’a incitée à poursuivre après le bac. » « Aujourd’hui, nous sommes en apprentissage chez Salomon, Ligne Roset et un fabricant de parapentes avec, pour chacune, une promesse d’embauche à la clé, conclut la troisième dans un large sourire. Nous n’avons eu aucune galère. » Et quand on demande à ces jeunes s’ils envient leurs amis restés dans le système scolaire classique, la réponse est unanime : jamais… sauf pour les vacances. Question jours de congés, ils sont en effet largement distancés.
©Photos Sébastien Calvet
Christian Bertuletti
Ébéniste, heureux employeur d’apprentis
« J’en suis à mon douzième apprenti et je n’ai jamais eu de problème. » La cinquantaine passée, Christian Bertuletti est un ébéniste heureux. Dans son atelier en fond de cour d’un immeuble de Villeurbanne, dans la banlieue de Lyon, il s’est fait un devoir de transmettre son savoir-faire à des jeunes qu’il accueille pendant deux à quatre ans. Un devoir ou une mission pour ce travailleur aussi passionné qu’exigeant et aux idées très arrêtées : « Je suis contre l’apprentissage trop jeune car le métier est physique et il n’est pas forcément bon de vivre dans un monde d’adultes à 15 ans. Pour moi, ce serait un retour en arrière si on décidait d’encourager cela. »
Chez Christian, le recrutement se fait au feeling après un premier entretien : « Je reçois une trentaine de CV par an et je rencontre trois candidats. Ce qui m’intéresse, c’est la motivation et le caractère des jeunes. Je veux qu’ils aient les pieds sur terre car je suis quelqu’un d’exigeant. Le travail du bois peut faire rêver, mais cela reste un travail précis et fatigant parfois. Je veux des personnes sérieuses car moi, je les prends au sérieux. »
Au fil des ans, Christian a parfois embauché des salariés, mais l’expérience n’a pas été suffisamment concluante. La routine finissait par s’installer, alors que chaque nouvel apprenti donne l’occasion d’une nouvelle rencontre, l’opportunité de changer ses habitudes. « J’aime être au contact des jeunes. Ils m’apportent aussi beaucoup. L’apprentissage n’est pas à sens unique. »
Miser davantage sur la jeunesse
Motif de satisfaction : onze des apprentis passés par son atelier ont aujourd’hui un travail. Certains font même carrière à l’étranger. « On n’investit pas assez dans la jeunesse, insiste-t-il. Il y a parfois même un climat antijeune chez les entrepreneurs qui ne cesse de m’étonner. Moi, par exemple, je supporte difficilement les retards, eh bien je n’ai jamais eu de difficultés de ce côté-là avec mes apprentis. Quand ils sont respectés et qu’ils savent qu’ils vont apprendre des choses en se rendant au travail, ils n’ont pas de panne de réveil. » Un contrat où tout le monde gagne en somme. | ||||||
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